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ANNUAL SURVEY PAPER

"Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?"
Edward LORENZ (météorologue), 1972
2023

Gouvernance : les reconfigurations géostratégiques qui annoncent l’avènement d’un nouvel ordre mondial, la perte de confiance envers les élites politiques dans les différents pays ainsi que la multiplication des sources d’information qui exige une vigilance accrue contre les “fake news”, rendent nécessaire de repenser la gouvernance à l’échelle tant des pays que de la communauté internationale.

Table des matières

DIGITALISATION DE L'ADMINISTRATION

La transition vers le numérique (digitalisation*)DéfinitionProcédé consistant à convertir une tâche, une profession, un objet ou un outil en code informatique dans le but d’améliorer les performances d’une organisation, d’une entreprise ou d’une administration. touche tous les secteurs de l’activité humaine, dont le secteur public et l’administration. Que ce soit pour des services au grand public (impôts, état civil, documents administratifs) ou pour le déroulement des élections par exemple, les services publics se digitalisent de plus en plus. D’ores et déjà la France, les Emirats Arabes Unis, la Corée du Sud, Singapour… se distinguent dans ce domaine1.

Cette digitalisation de l’administration peut significativement accélérer les procédures administratives, combattre la corruption et optimiser le fonctionnement du secteur public.

Le Maroc s’est engagé dans cette démarche, en mettant en œuvre la stratégie nationale “e-gouvernement” en 2009. Il a entamé, suite à l’avènement de la pandémie de la Covid-19 en 20202, une transition digitale de son secteur administratif.

Pour mener à bien cette transition digitale, il s’avère primordial de former les compétences humaines nécessaires, d’accroître considérablement la connectivité, en édifiant des réseaux à haut débit, d’assurer l’interopérabilité des systèmes d’information des administrations et des services publics, de disposer de clouds souverains et de renforcer la cybersécurité.

MULTIPLICATION EXPONENTIELLE DES SOURCES D'INFORMATION

Aux canaux d’information classiques, s’ajoute désormais toute une nébuleuse de producteurs incontrôlés d’information (sites Internet, blogs, chaînes YouTube, …). Depuis la généralisation d’Internet, le nombre de sources d’information*DéfinitionOrigine ou référence à partir de laquelle des données, des faits, des connaissances ou des détails peuvent être obtenus sur un sujet donné. Elles se divisent en trois grandes catégories : les sources primaires, les sources secondaires et les sources tertiaires. dans le monde s’est multiplié, tandis que la rapidité de remontée d’une information au public a presque doublé au fil des ans.

Cependant, si cette prolifération des sources d’information a apporté des avantages, tels que la diversification des points de vue, l’accès à des informations spécialisées et l’autonomisation des individus pour s’exprimer, elle a par ailleurs engendré des défis, notamment, la diffusion de fausses informations, la désinformation, la manipulation de l’opinion publique et la difficulté pour les individus de trier et d’évaluer la qualité de l’information. Le phénomène dit des “fakes news” en est particulièrement représentatif.

Le Maroc est directement concerné par cette évolution, que ce soit par de fausses informations générées localement ou importées de l’étranger3. Des campagnes de sensibilisation, des initiatives de vérification des faits et des mesures législatives sont mises en place pour promouvoir une utilisation responsable de l’information. Mais la plus grande vigilance s’impose, notamment, en ce qui concerne les populations urbaines en contact souvent permanent avec l’étranger et vis-à-vis des populations défavorisées susceptibles d’être manipulées par des mouvements extrémistes.

PERTE DE CONFIANCE ENVERS LES ELITES POLITIQUES

Les années 1960-1970 ont été marquées par des mouvements sociaux et des contestations politiques massives dans de nombreux pays. La méfiance croissante envers les élites politiques s’est renforcée au cours de la dernière décennie. Elle est alimentée par les scandales politiques et par la corruption, par les crises économiques et sociales (2008), par les médias de masse et par les réseaux sociaux.

L’insatisfaction vis-à-vis des élites politiques se généralise et s’incarne dans les manifestations et les actions de désobéissance civile qui se multiplient dans tous les Etats du monde (2019). En 2022, l’OCDE a relevé que seuls 41% des citoyens de ses Etats-membres font confiance aux autorités publiques4. Selon EDELMAN, la confiance envers les gouvernements a enregistré une baisse globale de 12 points entre 2021 et 20225.

Cette perte de confiance envers les acteurs publics risque, d’une part, d’entrainer l’arrivée au pouvoir de partis aux idéologies radicales, pouvant engendrer des bouleversements généraux extrêmes et, d’autre part, de conduire à de nouvelles manifestations civiles de masse, comme en 2019 dans le monde.

Au Maroc, quoiqu’en légère amélioration depuis 2011, la confiance institutionnelle a du mal à s’installer dans les espaces de la démocratie représentative selon l’IRES6. Cette crise de confiance se poursuit du fait de la montée de l’inflation, qui réduit le pouvoir d’achat des citoyens. Selon les résultats de l’enquête permanente de conjoncture auprès des ménages, réalisée en 2022 par le Haut-Commissariat au Plan, l’indice de confiance des ménages affiche, depuis le deuxième trimestre de l’année 2018, une tendance baissière, atteignant son niveau le plus bas durant le quatrième trimestre de l’année 2022 et ce, depuis le lancement de la première édition de l’enquête en 2008.

POST-VERITE

Ce terme décrit un phénomène dans lequel les gens sont particulièrement susceptibles de croire et de propager des informations qui correspondent à leurs propres convictions et préjugés, même si ces informations sont inexactes ou trompeuses.

Les origines de la post-vérité*DéfinitionCe qui fait référence à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion. remontent à 2003, quand les Etats-Unis ont présenté de fausses preuves afin de justifier l’invasion de l’Irak7. Des événements similaires –actions à impact important n’ayant rien à voir avec les faits objectifs– se sont multipliés à partir de 2016 pour atteindre leur paroxysme en 2021 avec les événements du Capitole américain ou les différentes compagnes anti-vaccination.

Ce décalage entre la réalité et la narration, lorsqu’il devient un outil de gouvernance, risque d’engendrer des effets néfastes difficiles à contrer, notamment, sur le plan économique et environnemental8.

Le Maroc n’est pas directement impacté aujourd’hui par les problématiques liées à la post-vérité. Cependant, ce phénomène touche certains de ses alliés stratégiques, comme les Etats-Unis ou l’Europe et pourrait affecter sa jeunesse à travers les réseaux sociaux.

RADICALISATION DE LA POLITIQUE

La radicalisation*DéfinitionProcessus par lequel une personne ou un groupe adopte progressivement des positions ou des idéologies extrêmes qui sont en désaccord avec le statu quo et remettent en question les idées conventionnelles. de la politique est observée dans de nombreux pays à travers, par exemple, la montée de l’extrémisme politique, tant de droite que de gauche (comme en France avec la montée en puissance du Rassemblement National et des “Insoumis”), ainsi que l’essor de mouvements populistes et nationalistes (comme le Trumpisme aux Etats-Unis).

Cette radicalisation peut entrainer des prises de décision populistes impactant négativement la résolution de problématiques globales telles que le climat9, la stabilité internationale, les progrès réalisés en matière d’équité des genres10, de respect des minorités11, ….

Le Maroc, du fait de son régime politique, échappe à cette vague de radicalisation politique. Mais certains de ses alliés risqueraient d’y succomber, ce qui pourrait avoir des répercussions sur leurs relations avec le Royaume.

REMISE EN CAUSE DES INSTITUTIONS INTERNATIONALES

La remise en cause et les appels à la réforme des organisations internationales ne sont pas un phénomène nouveau, mais ils ont significativement pris de l’ampleur ces dernières décennies.

Au cours de la dernière décennie, certains Etats (Etats-Unis, Israël, …) sont allés jusqu’à quitter des organisations internationales historiques telles que l’OMS ou l’UNESCO, tandis que d’autres, comme l’Ukraine, ont officiellement appelé à réformer le fonctionnement de l’ONU12.

La perte de confiance des acteurs de la politique mondiale envers les institutions internationales risque de conduire à un éclatement du système multilatéral tel qu’il a été établi en 1945. Ceci pourrait mener à terme à une reconfiguration majeure de la scène internationale.

Le Maroc est un acteur actif du multilatéralisme et du système international. En cas de reconfiguration de celui-ci, le Royaume pourrait se trouver à la croisée de plusieurs blocs adverses, aux côtés d’autres pays influents, comme l’Inde, mais neutres sur plusieurs questions d’ordre mondial.

RETRAIT DE L’OCCIDENT

Les puissances occidentales ont progressivement opéré un retrait des régions où elles intervenaient, telles que l’Afrique ou le Moyen-Orient. Le retrait américain de l’Afghanistan et français du Sahel marquent la fin de l’ère du “leadership occidental” et la montée en puissance rapide de nouveaux acteurs, capables de projeter leur influence à l’échelle mondiale, comme la Chine, la Russie ou l’Inde13.

Le retrait de l’Occident ouvre la voie à des bouleversements géopolitiques majeurs, comme, au Moyen-Orient, la réconciliation irano-saoudienne et le retour de la Syrie dans la Ligue Arabe et, en Afrique, la prolifération de mercenaires du groupe russe Wagner.

Allié de l’Occident et partenaire stratégique de plusieurs nouvelles puissances, le Maroc doit faire sa place dans ces nouvelles réalités géopolitiques.

SURVEILLANCE DE MASSE

La surveillance de masse*DéfinitionMise en place d’un contrôle rapproché de la part des autorités sur des populations entières, notamment, en suivant leurs activités sur les appareils électroniques de communication. fait référence à la collecte systématique et à grande échelle de données et d’informations sur un grand nombre de personnes, souvent sans ciblage spécifique ou justification individuelle.

Les outils de surveillance de masse n’ont cessé de se multiplier, que ce soit par le biais de satellites, de téléphones mobiles, de GPS, de caméras urbaines, de systèmes biométriques, de surveillance financière, de contrôle des emails et des usages d’Internet ou d’infiltration dans les réseaux sociaux.

Il est aujourd’hui judicieux de combiner la nécessité d’assurer la sécurité et la sureté des individus que permet cette surveillance (blanchiment, terrorisme, …) avec le respect de la vie privée des citoyens, remis en question par la prolifération des outils de surveillance.

La protection des données des personnes est aussi un enjeu pour le Maroc dont les citoyens peuvent faire l’objet d’une telle surveillance à leur insu, où qu’ils se trouvent dans le monde, via la collecte des données de leur téléphone mobile ou de leur usage d’Internet. Une politique affirmée de protection des droits individuels pourrait donc s’avérer utile

La surveillance de masse ©Getty – Leo Patrizi

Références

  1. World Bank Group. Europe and Central Asia Economic Update "Data, Digitalization, and Governance". Washington, DC : World Bank, 2021. License : CC BY 3.0 IGO.
  2. Chef du gouvernement. "Note d’Orientations Générales pour du Digital au Maroc à horizon 2025". Mars 2020.
  3. Mapnews. "Les médias au Maroc vivent au rythme d'une évolution numérique importante". Juillet 2020. Dernière consultation : le 25-07-202.
  4. OCDE. "Instaurer la confiance pour renforcer la démocratie : Principales conclusions de l’enquête 2021 de l’OCDE sur les déterminants de la confiance dans les institutions publiques", Editions OCDE, Paris : 2022.
  5. Edelman. "Edelman Trust Barometer 2022 : The Cycle of Distrust". 2022.
  6. Institut Royal des Etudes Stratégiques, "Tableau de Bord Stratégique : 10ème édition". Octobre 2022 : p. 135.
  7. Alterman, Eric. "When presidents lie: a history of official deception and its consequences", New York: Viking, 2004 ISBN: 0670032093.
  8. McIntyre, Lee. “Post-Truth”, The MIT Press, 2018. ISBN: 9780262535045.
  9. Han-Cheng Dai, Hai-Bin Zhang, Wen-Tao Wang. "The impacts of U.S. withdrawal from the Paris Agreement on the carbon emission space and mitigation cost of China, EU, and Japan under the constraints of the global carbon emission space". Advances in Climate Change Research, Volume 8, Issue 4, 2017, Pages 226-234, ISSN 1674-9278, https://doi.org/10.1016/j.accre.2017.09.003.
  10. Supreme court of the United States. No. 19–1392. June 2022.
  11. Jaffrelot, Christophe. “Religion, Caste, and Politics in India”. C Hurst & Co. April 2011 ISSN: 9781849041379600.
  12. Marwecki, Daniel. “Why Did the U.S. and Israel Leave UNESCO?” E-International Relations. February 2019.
  13. Nakamoto, S. "Bitcoin: A Peer-to-Peer Electronic Cash System”. Bitcoin. 2009.