L'industrie du Futur ou X.0

L'asservissement des technologies pour l'industrie a profondément transformé les industries, les sociétés et les économies à l'échelle mondiale. Depuis la première révolution industrielle, le charbon et la vapeur, technologies de pointe à l'époque, permettaient déjà un avantage concurrentiel considérable à ceux qui savaient les exploiter. Cette période a également été marquée par le passage de sociétés agricoles à des sociétés industrialisées et a ouvert la voie à une croissance économique sans précédent.

A l’instar de la première, la deuxième révolution industrielle est aussi étroitement liée au développement et à l'usage accru des technologies, se caractérisant par l'utilisation de l'électricité, du pétrole et des nouvelles méthodes de production comme la chaîne de montage. L'émergence de l'électronique, de l'informatique et des technologies de l'information ont ouvert la voie à la troisième révolution industrielle, également connue sous le nom de révolution numérique.

Durant cette période, la connectivité et l'utilisation massive de l'Internet ont permis une transformation profonde des industries, avec une diffusion rapide des technologies de l'information et de la communication dans tous les secteurs d'activité. La quatrième révolution industrielle, ou l’industrie 4.0, se distingue par l'utilisation de technologies avancées telles que l'intelligence artificielle, l'Internet des objets, la robotique avancée, la réalité virtuelle et la blockchain pour transformer les processus de production, de stockage et de commercialisation.

Cependant, depuis l'avènement de l'Industrie 4.0, nous assistons à un changement de paradigme dans ces révolutions industrielles. Le changement s’étend désormais bien au-delà de l’utilisation pure de nouvelles technologies pour améliorer l’efficacité de la production de masse. Dans ce nouveau contexte, il s'agit de concevoir une vision holistique de l'industrie, intégrant des considérations sociales et environnementales. C’est également d'un changement de mentalité, où l'efficacité et la productivité industrielles ne sont plus les seuls critères.

Ces révolutions X.0 visent une production plus respectueuse de l'environnement, une meilleure utilisation des ressources, et une plus grande personnalisation pour répondre aux demandes spécifiques de ses clients. Plusieurs puissances industrielles, comme le Japon, l'Allemagne et les Etats-Unis, ont déjà adopté des déclinaisons spécifiques de ces "révolutions X.0" adaptées à leurs propres industries et économies.

A cet égard, les industries à travers le monde ont réagi différemment à chaque révolution industrielle, influencées par divers facteurs tels que leur niveau de développement économique, leurs ressources naturelles, leur capital humain et leurs politiques gouvernementales. Le benchmark international présenté dans l'étude examine comment différents pays, avec leurs contextes socio-économiques, culturels, politiques et géographiques variés, abordent et réagissent aux révolutions industrielles.

Il révèle que chaque pays adopte des stratégies de modernisation industrielle influencées par nombreux facteurs tels que la qualité de l'éducation, le niveau de l'industrie minière et des énergies et le développement de la recherche. Par exemple, des nations fortement industrialisées telles que l'Allemagne et les Etats-Unis ont entamé leur parcours vers l’industrialisation numérique dès 2011, tandis que d'autres pays ont pris conscience de ces enjeux plus récemment. Les pays sélectionnés pour cette étude, issus de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique, sont à différents stades d’implémentation de leurs stratégies nationales de modernisation industrielle. Les performances économiques mondiales et la présence dans les chaînes de valeur mondiales ont été prises en compte pour leur sélection.

Les facteurs de réussite de ces pays sont divers. Premièrement, tous ces pays disposent de programmes nationaux dédiés à l'industrie du futur, tels que l'initiative "Industrie 4.0" en Allemagne, et l’industrie 5.0 japonaise. Ces programmes adoptent une panoplie de mesures sur plusieurs axes, visant à tirer parti des technologies de l'information avancées pour transformer les capacités industrielles et maintenir la compétitivité sur les marchés mondiaux.

Deuxièmement, les pays adoptant l'industrie du futur reconnaissent l'importance de l'éducation, de la formation et de la recherche et du développement. En investissant dans les ressources humaines par le biais de systèmes éducatifs adaptés qui intègrent les compétences techniques nécessaires pour l'industrie X.0, ces pays assurent un vivier de talents qualifiés pour soutenir l'innovation. Par exemple, Les initiatives politiques coréennes se concentrent particulièrement sur la recherche et le développement et soutiennent l'investissement dans la technologie et l'éducation.

Troisièmement, le renforcement de l'accès au financement pour soutenir les initiatives d'innovation est également un élément décisif dans toutes les expériences réussies. Cela peut impliquer des incitations financières pour les startups, des subventions à la R&D, et des partenariats public-privé pour diminuer le risque financier lié à l’exploration de nouvelles frontières technologiques.

Quatrièmement, le triptyque gouvernement-industrie-université est une autre caractéristique essentielle, où le gouvernement joue un rôle de facilitateur et de régulateur, l'industrie apporte une expertise pratique et des ressources, et l'université contribue par la recherche et le développement de nouvelles connaissances. Cette synergie permet une accélération du processus d'innovation et la commercialisation efficace des découvertes technologiques.

Le benchmark international offre des leçons clés pour l'industrie marocaine dans la transition vers l'industrie X.0. Il est crucial pour le Maroc d'investir dans le développement des compétences, en particulier dans les domaines spécifiques aux technologies numériques. Il est également important de se pencher sur l'innovation et d'intégrer rapidement les nouvelles technologies pour rester compétitif.

Le rôle du gouvernement est vital en créant des politiques proactives pour soutenir cette transition. Enfin, une collaboration efficace au sein de l'écosystème industriel - entre les entreprises, les institutions de recherche et le gouvernement - peut accélérer le passage à l'Industrie X.0 et améliorer la compétitivité du secteur.

L'évaluation de la maturité de l'industrie marocaine pour l'avenir indique que le pays est à un point de transition clé et doit prendre des mesures significatives pour assurer la compétitivité du secteur à long terme. Au cours des 15 dernières années, le Maroc a mis en œuvre une approche sectorielle de croissance économique, visant à accélérer l'industrialisation et à renforcer l'intégration dans les chaînes de valeur mondiale. Malgré des avancées notables, l'exécution de ces plans a été entravée par des défis liés à une coordination limitée avec d'autres politiques publiques dans les domaines influant tels l’éducation et la recherche scientifique.

Il n'existe actuellement aucune stratégie directement consacrée à l'industrie future au Maroc, mais étant donné l'adoption rapide des technologies numériques dans l'industrie à l'échelle mondiale, il est impératif que l'industrie marocaine fasse la transition d'une industrie basée principalement sur l'offshore et l'avantage du coût de production vers une industrie innovante à la pointe de la technologie. Les défis restants dans plusieurs domaines nécessitent une fédération des efforts de nombreux acteurs liés au secteur, dans le cadre d'une stratégie industrielle tangible et cohérente en synergie avec les contraintes locales.

Le questionnaire, élaboré par l’Institut Royal des Etudes Stratégiques (IRES) et administré sous sa supervision, a révélé des informations importantes sur la connaissance et la compréhension de l'industrie du futur parmi les entreprises marocaines. Sur base des réponses reçues, 88% des entreprises interrogées sont conscientes de l'industrie du futur, ce qui est un indicateur encourageant de la sensibilisation aux transformations numériques et automatisées dans les secteurs industriels au Maroc.

Cependant, la familiarité des entreprises avec le concept de l'industrie du futur varie en fonction de la taille et du secteur de l'entreprise. Par exemple, toutes les entreprises participantes issues des secteurs primaire et tertiaire ont affirmé être familières avec l'industrie du futur. Cependant, les entreprises du secteur secondaire affichent un niveau de connaissance légèrement inférieur, à 83 %.

En revanche, seuls 15% des entreprises estiment avoir un niveau élevé de numérisation, ce qui peut indiquer soit un manque de ressources, soit des défis technologiques ou organisationnels.

L'étude a également évalué le taux d'adoption de l'industrie du futur parmi les entreprises marocaines. D'après les résultats, il a été constaté que 45% des entreprises sondées tentent actuellement de mettre en œuvre des initiatives liées à l'industrie du futur. Ceci témoigne d'une approche proactive et positive vers la modernisation et l'orientation future de l'industrie.

Cependant, l'implémentation de l'industrie du futur ne se fait pas sans défis. Il a été observé que 25% des entreprises mènent des efforts de numérisation de manière indépendante, ce qui peut limiter les avantages de l'industrie du futur qui requiert une approche plus intégrée. Par ailleurs, les résultats montrent que seulement 6 % des entreprises ont pleinement intégré les concepts de l'industrie du futur, indiquant que l'avancement vers une adoption complète se fait à un rythme progressif.

L’enquête a également exploré les motivations des entreprises marocaines pour adopter l'industrie du futur. Les réponses indiquent que ces motivations sont en accord avec les objectifs économiques nationaux, en particulier dans le cas des entreprises du secteur secondaire. Notamment, 7 % des entreprises visent à accroître la compétitivité, tandis que 15 % cherchent à se démarquer sur le marché, percevant l'industrie du futur comme un outil stratégique pour améliorer l'efficacité opérationnelle et différencier leurs offres.

En parallèle, 26 % et 25 % des entreprises voient la nécessité d'adopter l'industrie du futur pour rester pertinentes et compétitives face aux pressions du marché et de la concurrence. Dans une perspective de croissance et de diversification, 27 % des entreprises sont à la recherche de l'innovation et de l'expansion du marché. Ces motivations diverses pour l'adoption de l'industrie du futur démontrent l'appréciation de sa valeur stratégique et des divers avantages potentiels, de l'amélioration tactique immédiate aux ambitions à long terme. Cela révèle le rôle possible de l'industrie du futur dans le façonnement du futur paysage industriel du Maroc.

Côté mise en œuvre, l'étude a également examiné la capacité d'adaptation technologique des entreprises marocaines en termes de leur équipement et de leurs processus automatiques. Les résultats révèlent que 67 % des entreprises disposent de processus ou d'équipements qui sont capables de réagir de manière autonome ou automatique en temps réel aux changements des conditions de production. Cette constatation indique un niveau d'intégration technologique assez élevé, signe d'une préparation et d'une flexibilité importantes pour répondre aux conditions de production dynamiques. Néanmoins, 33 % des entreprises n'ont pas d'équipements automatiques, révélant une disparité importante dans la transition vers l'industrie du futur.

L'enquête a également évalué la perception des entreprises de leur niveau de numérisation. Les résultats indiquent que seulement 15 % des entreprises estiment avoir un niveau élevé d'intensité numérique, ce qui suggère qu'une proportion significative d'entreprises n'est pas encore pleinement engagée dans le processus de numérisation, ou peut-être manque de conscience du degré de numérisation qui existe déjà dans leurs opérations.

En termes d'implémentation de l'Industrie du Futur, l'étude a évalué la disponibilité et l'adoption de ses aspects clés parmi les entreprises marocaines. Il apparait que, bien qu'une majorité (65%) des entreprises ait une connaissance de l'Industrie 4.0, l'adoption pratique de ces technologies est significativement plus basse.

Sur la base du benchmark international, des consultations avec des experts et des observations faites lors de l'étude de terrain, plusieurs recommandations ont été élaborées pour aider le Maroc dans sa transition vers l'industrie du futur. Ces recommandations découlent d'une analyse approfondie et d’une compréhension contextualisée des défis et des opportunités spécifiques au pays.

Le premier besoin pressant pour l’industrie marocaine est d’accroître sa compétitivité. Dans le domaine du développement du capital humain, il est crucial de valoriser l'éducation et la formation technique de haute qualité, alignées sur les besoins spécifiques de l'industrie. Cela passe par l'investissement dans les programmes d'éducation technique et professionnelle capable de forger un vivier de travailleurs hautement qualifiés.

 

L'étude suggère de se focaliser intensément sur les marchés domestiques et africains en expansion, ce qui implique la construction de canaux de distribution efficaces, la création d'infrastructures logistiques solides, et la consolidation des partenariats avec les acteurs commerciaux locaux. Pour une gestion optimisée de la chaîne d'approvisionnement, l'intégration de technologies avancées et l’exploitation d’outils d'analyse prédictive et de données du marché s’avèrent indispensable pour améliorer la production et la distribution.

Il est essentiel de promouvoir l'émergence d'une nouvelle génération d'industriels. Favoriser l'innovation, l'utilisation durable des énergies renouvelables et une intégration plus prononcée au sein des chaînes de valeur mondiales sont des facteurs clés pour renforcer la compétitivité de l'industrie marocaine à long terme.

L'étude recommande aussi l'élaboration d'un cadre réglementaire adapté pour l'intégration des technologies avancées, afin d'assurer une utilisation éthique et sécurisée de ces outils, tout en garantissant la compétitivité du pays. Elle propose aussi une régulation plus stricte en matière d'émissions de gaz à effet de serre, incitant les entreprises industrielles à investir dans des technologies plus propres et plus efficaces.

De plus, il est proposé de renforcer les lois de protection des travailleurs, garantissant ainsi la sécurité des employés face à l'émergence de nouvelles technologies et la gestion éthique des données. Enfin, un cadre réglementaire adapté pour le financement des entreprises par des fonds d'épargne collective est suggéré, afin de soutenir l'innovation tout en gardant un profil de risque positif.

La dimension technologique est également essentielle pour le Maroc pour promouvoir l'adoption des technologies de l'industrie X.0 comme l’intelligence artificielle, l'automatisation, l'Internet des objets et la réalité augmentée/virtuelle. Ces technologies ont le potentiel d’accroître l'efficacité de la production et stimuler l'innovation. En outre, il est préconisé de stimuler le transfert de technologie en favorisant les partenariats entre les universités, les instituts de recherche et le secteur industriel. Il est également suggéré d'établir des instituts de recherche technologiques dédiés à la recherche appliquée pour faciliter le transfert des savoirs.

Pour rendre efficaces les recommandations de l'étude pour l'amélioration de l'industrie marocaine, il est essentiel de les appuyer par des mesures financières appropriées. Cela inclut la mise en œuvre d'un abattement fiscal destiné à stimuler l'investissement dans l'immobilier industriel, qui pourrait libérer des capitaux pour encourager l'innovation technologique et le développement industriel. Il est aussi nécessaire de faciliter l'accès au financement pour les entreprises, ce qui leur permettra d'investir dans de nouvelles technologies ou de développer des produits et des solutions innovantes.

Enfin, favoriser l'investissement de fonds d'épargne collective ou institutionnelle dans les entreprises qui présentent un profil de risque positif pourrait non seulement dynamiser les flux de financement disponibles, mais aussi stimuler l'innovation et la croissance au sein de l'industrie marocaine.

La dimension sociale est tout aussi capitale. L'étude souligne que la transition vers l'industrie du futur au Maroc doit être s’accompagner d’un engagement fort pour l'inclusion sociale. Cela signifie que les avantages de la technologie et de l'innovation doivent être partagés de manière équitable, indépendamment du statut socioéconomique, du genre, de l'âge ou de la localisation géographique des individus. Avec l’automatisation potentielle de certains emplois, il devient primordial de renforcer les protections sociales, d'élargir l'assurance chômage et d’accompagner les employés dans leur transition vers de nouvelles opportunités d'emploi. Il est également suggéré de lever les obstacles financiers à la formation continue, notamment par la création d'un fond dédié à la montée en compétences des travailleurs.

En conclusion, le document propose un parcours conçu pour renforcer l'industrie marocaine à l’ère de l’industrie du futur. Il propose des initiatives ciblées pour favoriser l'innovation technologique de pointe, pour cultiver et enrichir le capital humain, forger des réglementations durables et éthiques, et assurer un soutien financier solide et durable.

En adoptant ces stratégies, le Maroc peut non seulement transformer son paysage industriel, mais également se forger une place de choiax dans l’économie mondiale tout en garantissant un développement inclusif et durable pour l’ensemble de sa population. Le futur de l’industrie marocaine repose sur la mise en œuvre diligente de mesures concrètes qui lui permettront de consolider et d’accroître la compétitivité du « made in Morocco » à l’échelle mondiale. C'est en posant les fondations aujourd’hui que nous construirons l’industrie marocaine de demain.